Qu'est-ce que le "legal privilege" des juristes d'entreprise ?

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Article rédigé le 31/07/2023  

Résumé : Les consultations juridiques, des juristes d’entreprise, identifiées comme confidentielles, ne pourront pas faire l'objet d'une saisie ou d'une obligation de remise à un tiers, y compris à une autorité administrative française ou étrangère » ou « être opposés à l'entreprise qui emploie le juriste d'entreprise ou aux entreprises du groupe auquel elle appartient ».


Le 10 juillet 2023, dans le cadre du projet de loi d’orientation et de programmation du ministère de la Justice 2023-2027, l’Assemblée nationale a adopté en 1ère lecture un amendement[1] qui fixe le régime juridique de la confidentialité des consultations des juristes d’entreprise, encore appelé le « legal privilege ».

Le « legal privilege » a pour objectif de répondre à un paradoxe : comment alerter les cadres dirigeants des entreprises sur des risques juridiques et échapper à l’auto-incrimination si ces alertes juridiques ne sont pas couvertes par la confidentialité ?

Parmi les pays de l’OCDE, la France est l’un des rares pays à ne pas appliquer le « legal privilege » pour remédier à ce paradoxe.

Le périmètre du « legal privilege » « à la française » a été étroitement précisé.

Ainsi, pourront seulement bénéficier de ce « legal privilege » les consultations juridiques (c’est-à-dire tous les écrits, quel que soit leur support, y compris un document d’analyse préparatoire,)


  • portant précisément la mention « confidentiel – consultation juridique juriste d’entreprise ».

Il est à noter que le fait d’apposer frauduleusement la mention « confidentiel – consultation juridique – juriste d’entreprise » sur un document qui ne relève pas du présent article est qualifié de « faux », sanctionné au titre de l’article 441-1 du Code pénal. Le faux et l'usage de faux sont punis de trois ans d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende ;

  • faisant l’objet d’un classement et d’une traçabilité particulière dans les dossiers de l’entreprise ou du groupe, ce qui risque de poser des difficultés en termes de logistique et d’informatique pour les plus grandes entreprises qui comptent de nombreuses entités ;

  • rédigées par des juristes (ou, à leur demande et sous leur contrôle, par un membre de leur équipe placé sous leur autorité), justifiant d'un master en droit (ou d’un diplôme équivalent français ou étranger) ainsi que de formations à la déontologie ;

  • et destinées exclusivement à l’employeur des juristes et plus précisément :
    • au représentant légal / à son délégataire de l’entreprise ;
    • aux autres organes de direction, d’administration ou de surveillance de l’entreprise qui l’emploie ;
    • à toute entité ayant à émettre des avis auxdits organes, aux organes de direction, d’administration ou de surveillance de l’entreprise qui, le cas échéant, contrôlent  au sens de l’article L. 233-3 du Code de commerce, l’entreprise qui emploie le juriste d’entreprise ;
    • aux organes de direction, d’administration ou de surveillance des filiales contrôlées, au sens du même article, par l’entreprise qui emploie le juriste d’entreprise.

La portée de ce « legal privilege » a aussi été étroitement précisée.

Ainsi, les consultations juridiques précisément identifiées comme confidentielles ne pourront pas faire l'objet d'une saisie ou d'une obligation de remise à un tiers, y compris à une autorité administrative française ou étrangère ou être opposées à l'entreprise qui emploie le juriste d'entreprise ou aux entreprises du groupe auquel elle appartient.

Néanmoins, ce « legal privilege » est limité aux procédures ou litiges en matière civile, commerciale ou administrative, mais aucunement aux procédures pénales ou fiscales.

En outre, la levée de cette confidentialité est toujours possible dans le cadre de procédures dans lesquelles l’assistance ou la représentation de l’entreprise par un avocat est obligatoire.

Ainsi,
  • dans le cadre d’un litige civil ou commercial, il est possible de saisir en référé le président de la juridiction qui a ordonné une mesure d’instruction (saisie de documents) dans un délai de 15 jours suivant la mise en œuvre de ladite mesure, aux fins de contestation de la confidentialité alléguée de certains documents ;
  • dans le cadre d’une procédure administrative, il est possible de saisir le juge des libertés et de la détention (JLD) qui a autorisé une opération de visite dans un délai de 15 jours, pour contester la confidentialité alléguée de certains documents ou ordonner la levée de la confidentialité de certains documents, « dans la seule hypothèse où ces documents auraient eu pour finalité d’inciter ou de faciliter la commission des manquements aux règles applicables qui peuvent faire l’objet d’une sanction au titre de la procédure administrative concernée ».

Au cours de l’une ou l’autre de ces procédures, le juge ordonne à l’entreprise de lui remettre les documents considérés par celle-ci comme étant couverts par ce « legal privilege ».

Puis, le juge entend les protagonistes (c’est-à-dire le requérant et l’entreprise qui emploie le juriste d’entreprise) seul ou avec l’assistance d’un expert qu’il désigne. Ensuite, il statue sur la contestation relative à la confidentialité d’un document et, le cas échéant, sur la demande de la levée de la confidentialité.

Aux fins de protéger la confidentialité de l’information, le juge peut adapter la motivation de sa décision et les modalités de publicité de celle-ci aux nécessités de la protection de la confidentialité.



S’il est fait droit à la demande de levée de confidentialité, les documents sont produits à la procédure en cours dans les conditions qui lui sont applicables. À défaut, ils sont restitués sans délai à l’entreprise qui emploie le juriste d’entreprise. 

À noter que l’entreprise qui emploie le juriste d’entreprise peut, de sa propre initiative, lever la confidentialité des documents couverts par le « legal privilege ».


Sources
  • Amendement n°1512 à l’article 19 du projet de loi d’orientation et de programmation du ministère de la Justice 2023-2027 
  • « L'Assemblée adopte le legal privilege des juristes en entreprise », Pierre Januel, Journaliste, 12 juillet 2023, Ed. Dalloz actualité
  • « Confidentialité des avis des juristes d’entreprise : c’est adopté par l’Assemblée nationale », Laurence Garnerie, Gazette du Palais, 18/07/2023 n° 2, Ed. Lextenso
  • « Opposition du CNB à la reconnaissance d’un legal privilege », CNB, actualités 4 juill. 2023, La Semaine Juridique - Édition Générale - N° 27 – 10/07/2023


[1] Amendement n°1512 à l’article 19 du projet de loi d’orientation et de programmation du ministère de la Justice 2023-2027 

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