Nouveaux mécanismes d'évaluation du préjudice de contrefaçon

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Article rédigé le 3 décembre 2008 


Préalablement à l'entrée en vigueur de la loi de lutte contre la contrefaçon n° 2007-1544 du 29 octobre 2007, qui transpose en droit français la directive communautaire n° 2004/48CE du 29 avril 2004 relative au respect des droits de propriété intellectuelle, les tribunaux évaluaient le préjudice en matière de propriété intellectuelle en s'appuyant sur des dispositions de droit commun, et notamment sur l'article 1149 du code civil qui dispose " les dommages et intérêts dus au créancier sont, en général, de la perte qu'il a faite et du gain dont il a été privé ". Le principe reposait sur une réparation intégrale, c'est-à-dire une réparation de tout le préjudice, mais rien que le préjudice. Ce système fut très souvent critiqué en ce qu'il rendait la contrefaçon " rentable " pour le contrefacteur et cela même lorsqu'il était condamné.

La loi du 29 octobre 2007 prévoit deux mécanismes alternatifs d'évaluation du préjudice de la contrefaçon : Une évaluation " réelle " en fonction des conséquences économiques négatives de la contrefaçon (1) ou une évaluation " forfaitaire " en fonction du montant d'une redevance de licence (2). La loi prévoit aussi la mise en œuvre de mesures correctives de nature à compléter les condamnations au paiement de dommages et intérêts (3).

1. Évaluation du préjudice en fonction des conséquences économiques négatives de la contrefaçon

Désormais, " pour fixer les dommages et intérêts, la juridiction prend en considération les conséquences économiques négatives, dont le manque à gagner, subies par la partie lésée, les bénéfices réalisés par le contrefacteur, et le préjudice moral causé au titulaire des droits du fait de l'atteinte ". Cette règle s'applique à toutes les atteintes d'un droit de propriété intellectuelle.

1.1. Préjudice commercial

Pour appliquer cette règle d'évaluation du préjudice commercial, il est nécessaire de recourir à des instruments économiques, mais aussi à des instruments juridiques.

1.1.1. Instruments économiques

La loi du 29 octobre 2007 met en exergue :

- le manque à gagner c'est-à-dire la perte subie par la victime de contrefaçon et le gain dont elle a été privée. Ces critères reprennent ceux visés à l'article 1149 du code civil.

- les bénéfices réalisés par le contrefacteur. Ce critère constitue une nouveauté.

Concrètement, pour évaluer la perte subie par la victime de contrefaçon, les tribunaux prennent en compte les éléments économiques suivants :

- la baisse des prix pour faire face aux produits contrefaisants,

- la dévalorisation des investissements réalisés par la victime de contrefaçon (recherche et développement, recherche d'antériorité, frais de dépôt et d'enregistrement, frais de veille concurrentielle, conception, création, action promotionnelle, etc.),

- la perte de clients et parfois la perte de ventes,

- les frais publicitaires pour tenter de contrecarrer les conséquences de la contrefaçon,

- l'atteinte au droit de propriété intellectuelle,

- les frais occasionnés par la défense de ces droits de propriété intellectuelle.

Concrètement, l'évaluation du gain manqué se fera en deux étapes, la première consistant à déterminer la masse contrefaisante que la victime de contrefaçon aurait pu commercialiser elle-même et la seconde, la marge de la victime de contrefaçon.

Détermination de la masse contrefaisante que la victime de contrefaçon aurait pu commercialiser elle-même : la masse contrefaisante (volume de la contrefaçon) doit être pondérée par un certain nombre d'éléments économiques tels que :

- la durée de la contrefaçon ;

- l'exploitation du droit de propriété intellectuelle par la victime de contrefaçon : on cherche à déterminer la capacité de production et de commercialisation de la victime de contrefaçon afin de savoir si celui-ci a été privé d'un gain ;

- le pouvoir attractif du droit de propriété intellectuelle en cause : il s'agit de savoir si, en fonction du caractère plus ou moins attractif de ce droit, la décision d'achat du consommateur sera plus ou moins influencée ;

- la part de marché de la victime de contrefaçon : s'il existe des produits concurrents, il faut tenter de répondre à la question de savoir si en l'absence de contrefaçon, le consommateur se serait orienté vers les produits de la victime de contrefaçon. Une analyse concurrentielle des produits sur le marché s'impose alors.

Détermination de la marge de la victime de contrefaçon : En principe, il convient de déterminer la marque bénéficiaire nette, c'est-à-dire la marge réalisée après avoir déduit un certain nombre de charges telles que les frais de fabrication, de vente, de publicité, les impôts commerciaux, les frais généraux, etc. Toutefois, lorsque la quantité d'objets contrefaisants est marginale par rapport à la capacité de production de la victime de contrefaçon qui aurait pu les produire sans augmenter ses frais, on retient la marge brute.

Le gain manqué consistera alors à appliquer à la marge nette/brute de la victime de contrefaçon, la masse contrefaisante que la victime de contrefaçon aurait pu commercialiser elle-même :

Gain manqué = masse contrefaisante pondérée X marge nette/brute

La loi du 29 octobre 2007 met l'accent sur un autre facteur à prendre en considération dans l'évaluation du préjudice, à savoir les bénéfices réalisés par l'auteur de l'atteinte aux droits.

Ce concept nouveau suscite encore des interrogations sur son application. En effet, dans la mesure où la notion de dommages et intérêts punitifs n'a pas été consacrée par la directive communautaire, le principe de la réparation intégrale (et uniquement la réparation intégrale) perdure. Dès lors, il paraît difficile d'indemniser la victime de contrefaçon au-delà du préjudice qu'elle a effective subi et cela même si les bénéfices réalisés par le contrefacteur sont supérieurs au préjudice de la victime. Néanmoins, certains auteurs estiment que les tribunaux évaluent à la hausse le montant des dommages et intérêts en fonction des bénéfices réalisés par le contrefacteur.

1.1.2. Instruments juridiques

La loi du 29 octobre 2007 offre aux victimes de la contrefaçon un panel de mesures procédurales de nature à leur permettre de rapporter la preuve de la contrefaçon, mais également de démontrer son ampleur et ainsi favoriser l'évaluation du préjudice.

Ainsi, à l'occasion d'une procédure en saisie contrefaçon, le titulaire d'un droit de propriété intellectuelle peut faire procéder par Huissier de Justice soit à la description détaillée, avec ou sans, prélèvement d'échantillons, soit à la saisie réelle de produits et de services prétendus contrefaisants ainsi que tout document s'y rapportant.

Également, à l'occasion d'une procédure au fond, le tribunal peut ordonner, au besoin sous astreinte, la production de tous documents ou informations de nature à déterminer l'origine et les réseaux de distribution des produits contrefaisants. Il est précisé que les documents ou informations recherchés portent :

- d'une part sur les noms et adresse des producteurs, fabricants, distributeurs, fournisseurs et autres détenteurs des produits ou services ainsi que les grossistes destinataires et les détaillants

- et d'autre part sur les quantités produites, commercialisées, livrées, reçues ou commandées ainsi que sur le prix obtenu pour les produits ou service en cause.

Enfin, s'il existe des circonstances de nature à compromettre le recouvrement de dommages et intérêts, le tribunal peut ordonner la saisie conservatoire des biens mobiliers ou immobiliers du prétendu contrefacteur, y compris le blocage de ses comptes bancaires et autres avoirs. Pour déterminer les biens saisissables, le tribunal peut ordonner la communication des documents bancaires, financiers, comptables ou commerciaux ou l'accès à toutes informations pertinentes.

Ces procédures devraient aider les victimes de contrefaçon à justifier leur préjudice et ainsi permettre une plus large indemnisation des victimes de la contrefaçon.

1. 2. Préjudice moral

Au-delà du préjudice commercial, la loi du 29 octobre 2007 rappelle que la victime de contrefaçon peut arguer d'un préjudice moral constitué par une atteinte à l'image de marque.

Il existe plusieurs types d'image de marque :

L'image de marque du titulaire des droits : Par exemple, on laisse croire aux consommateurs que les produits contrefaisants sont commercialisés avec l'autorisation du titulaire des droits alors que ceux ne sont pas conformes aux règles de sécurité ou aux normes de qualité des produits authentiques. Également, les produits contrefaisants sont vendus à moindre prix ce qui dévalorise l'image du titulaire des droits.

L'image de la marque elle-même : la marque peut véhiculer des valeurs particulières et/ou correspondre à des conditions de commercialisation particulières (réseau de distribution). En portant atteinte à cette marque, le contrefacteur porte atteinte aux valeurs attachées à celle-ci et aux normes de qualité attachées au réseau de distribution.

L'image de marque du produit : certains produits bénéficient d'une image indépendante de toute autre image telle que celle du titulaire des droits ou de celle de la marque. Il s'agit des de produits légendaires ou emblématiques.

L'image de marque du contrefacteur : Lorsque la contrefaçon provient d'une enseigne réputée pour son sérieux, l'atteinte portée aux droits des tiers est parfois d'autant plus sanctionnée qu'elle est particulièrement trompeuse pour le public.

Pour évaluer ce préjudice d'image, les tribunaux exigent d'une part que les produits contrefaisants aient bien été commercialisés ou à tout le moins qu'ils aient fait l'objet d'une large publicité auprès des consommateurs et d'autre part la démonstration de l'existence d'une image de marque réelle. Pour ce faire, les titulaires des droits se fondent le plus souvent sur leurs budgets publicitaires qui ont servi à définir l'image de marque en question ou sur des sondages destinés à démontrer le risque de confusion, la dépréciation de l'image de marque dans l'esprit du public ou encore l'éventuelle notoriété. Le recours à des sondages différés dans le temps permet d'établir un comparatif entre l'image de marque avant les faits de contrefaçon et après.

2. Évaluation du préjudice en fonction du montant d'une redevance de licence

La loi prévoit que " la juridiction peut, à titre d'alternative et sur demande de la partie lésée, allouer à titre de dommages et intérêts une somme forfaitaire qui ne peut être inférieure au montant des redevances ou droits qui auraient été dus si le contrefacteur avait demandé l'autorisation d'utiliser le droit auquel il a porté atteinte ".

Tout d'abord, force est de constater que cette alternative permettant à la victime de contrefaçon d'obtenir une indemnisation forfaitaire doit être expressément demandée par celle-ci.

Ensuite, le texte ne prévoit pas de méthode d'évaluation de la redevance. Celle-ci devra donc être déterminée à partir d'une analyse économique ou comptable. Si les tribunaux français recouraient déjà à cette méthode de réparation du préjudice de contrefaçon, aucune règle d'évaluation de la redevance fictive n'a été fixée.

Enfin, il convient de constater que la redevance indemnitaire représente un seuil minimum d'indemnisation. Dès lors, le contrefacteur ne devrait pas pouvoir espérer s'en tirer qu'avec une redevance indemnitaire.

3. Mise en œuvre de mesures correctives

Article rédigé le 3 décembre 2088

La loi du 29 octobre 2007 offre la possibilité pour la victime de contrefaçon titulaire d'un droit de propriété intellectuelle de demander en plus des dommages et intérêts, des mesures complémentaires telles que :

- le rappel ou la mise à l'écart des circuits commerciaux des marchandises contrefaisantes ainsi que des matériaux et instruments ayant permis de les fabriquer ;

- la destruction ou la confiscation des marchandises contrefaisantes, et ce aux frais du contrefacteur ;

- la publication dans les journaux ou sur Internet du jugement dans son intégralité ou par extrait, là encore aux frais du contrefacteur.

En outre, le titulaire d'un droit de propriété littéraire et artistique peut demander la confiscation intégrale ou partielle des recettes procurées par la contrefaçon en vue de sa remise à la victime de contrefaçon. Cette mesure existait déjà dans le cadre de la saisie conservatoire et en matière pénale. À cet égard, les tribunaux ont précisé que le terme " recette " fait référence au profit retiré de la contrefaçon et que le montant de ces recettes doit s'imputer sur le montant des dommages et intérêts, du à la victime de contrefaçon.

Conclusion

Si les dommages et intérêts " punitifs " n'ont finalement pas été consacrés par la directive communautaire susvisée, celle-ci élargit incontestablement les bases de calcul du montant du préjudice, ce qui devrait permettre une meilleure indemnisation des victimes de contrefaçon.

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