NON, Internet n'est pas une zone de non droit, qu'on se le dise !

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Article rédigé le 7 juillet 2009  


L'Internet est un média, aujourd'hui bien connu, qui a notamment pour particularité de mettre en relation des personnes physiques ou morales du monde entier, et notamment des commerçants et des consommateurs. Il est courant de lire que sur Internet les frontières n'existent pas. À partir de ce constat, comment un juge national, en l'occurrence français, peut se reconnaître compétent pour apprécier un litige sur Internet à caractère international.

En soulevant, in limine litis, l'incompétence du tribunal français pour connaître des litiges en contrefaçon et/ou concurrence déloyale sur Internet, les plaideurs ont été à l'origine d'une série de décisions judiciaires qui ont petit à petit déterminé les critères à prendre en considération pour pouvoir retenir ou non la compétence du juge français.

1. Un juge français peut-il se reconnaître compétent pour connaître d'un litige sur Internet ?

À titre liminaire, il convient de rappeler que :

• l'article 5-3 du Règlement (CE) n° 44/2001 du 22 décembre 2000 (dit Bruxelles I) prévoit que « en matière délictuelle ou quasi-délictuelle, une personne domiciliée sur le territoire de l'Union européenne peut être attraite par un autre état membre, devant le tribunal du lieu où le fait dommageable s'est produit ou risque de se produire ».

• l'article 46 du Nouveau Code de Procédure Civile dispose que « le demandeur peut saisir à son choix, outre la juridiction du lieu où demeure le défendeur, (...) en matière délictuelle, la juridiction du lieu du fait dommageable ou celle dans le ressort de laquelle le dommage a été subi (...) »

1. Partant de ces textes juridiques, la Cour de cassation a considéré, dans un premier temps, que le fait même de rendre accessible un site Internet sur le territoire français, fût-il inactif, fut-il espagnol, générait un dommage sur le territoire français, justifiant la compétence des juridictions françaises. Autrement dit, selon la Cour de cassation, les Tribunaux français devaient se considérer systématiquement compétents lorsque le site litigieux était accessible depuis le territoire français. (Cass. 1ère civ. 9 déc. 2003 SA Castellblanch c/ SA Champagne Louis Roederer).

2. Dans un second temps, la Cour de cassation a considéré qu'un site Internet, fut-il accessible en France et comportant sur la page d'accueil le mot « bienvenue » à destination du public francophone, ne générait aucun préjudice en France dans la mesure où le site était rédigé en langues étrangères, les produits n'étaient pas disponibles en France et ne visaient pas le public de France. Dans ces circonstances, l'usage des marques « Boss » sur ce site Internet ne contrevenait pas à l'interdiction ordonnée dans un jugement du 23 juin 2000 de faire usage des marques « Boss » contrefaisantes. (Cass. Com. 11 janv. 2005 Hugo Boss c/ Reemtsma Cigarettenfabriken Gmbh)

3. Dans la logique de l'arrêt de la cour de cassation du 11 janv. 2006, la Cour d'Appel de Paris devait affirmer que « sauf à vouloir conférer systématiquement, dès lors que les faits ou actes incriminés ont eu pour support technique le réseau Internet, une compétence territoriale aux juridictions françaises, il convient de rechercher et de caractériser, dans chaque cas particulier, un lien suffisant, substantiel ou significatif entre ces faits ou actes et les dommages allégués ». (CA Paris, 26 avril 2006 Fernand S. Normalu c/ Acer)

Cette notion de « lien suffisant, substantiel ou significatif entre ces faits ou actes et les dommages allégués » a suscité beaucoup d'interrogations sur le sens qu'il convenait de lui donner.

2. Que faut-il entendre par « lien suffisant, substantiel et significatif » avec la France ?

Pour répondre à cette question, il semblerait que les magistrats aient cherché à déterminer, dans chacun des cas qui leur étaient soumis, si le public concerné était le public français ou non. Pour ce faire, il semblerait qu'ils se soient attachés expressément soit à la nature du site Internet concerné par ces actes litigieux (a), soit encore à l'impact économique des sites litigieux (b), soit aux faits litigieux dénoncés par les parties (c). Pour ce faire, toute une série de critères (critère linguistique, offre marchande auprès notamment des internautes français, référencement des sites Internet sur les moteurs de recherche depuis la France, le code pays attachés aux sites Internet litigieux) sera ou non retenue par les magistrats selon les affaires. En tous les cas, le critère de la seule accessibilité du site Internet en France est désormais insuffisant en tant que tel même s'il reste évidemment nécessaire.

a/ Public concerné par rapport à la nature des sites Internet en cause

Sites marchands visant ou non le consommateur français

1. Reproduction partielle de marque : Dans son arrêt du 26 avril 2006, la Cour d'Appel de Paris a constaté que le site Internet litigieux, rédigé en langue anglaise, n'offrait aux consommateurs français aucun produit à la vente, pour considérer que la seule reproduction partielle de la marque litigieuse ne saurait caractériser, de ce seul fait, un lien suffisant, substantiel ou significatif avec le préjudice allégué. En l'espèce, la société Fernand SCHERRER a appris que la société ACET faisait usage sans autorisation de la marque française CEILINGS THAT S-T-R-E-C-H YOUR IMAGINATION, au Liban, sur un site Internet accessible en France. (C.A. Paris, 26 avril 2006 Fernand S. Normalu c/ Acer)

2. Reproduction de modèles de chaussures : Dans un arrêt du 20 mars 2007, la Cour de cassation a retenu la commercialisation de produits litigieux sur un site Internet accessible en France pour reconnaître la compétence des tribunaux français, écartant le critère linguistique selon lequel ce site Internet était présenté en langue allemande. La Cour a estimé en l'occurrence que les photographies des produits proposés à la vente et le prix en euros permettaient à tout internaute, même ceux qui ne sont pas germanophones, de comprendre et d'utiliser les informations essentielles mises à leur disposition pour passer commande. En l'espèce, une société allemande présentait à la vente sur un site Internet des modèles de chaussures strictement identiques (même forme, mêmes matériaux, mêmes dessins, mêmes dimensions, les différences étant limitées à la couleur des losanges et aux marques intérieures peu visibles) à ceux commercialisés antérieurement par une société française. (Cass. Com 20 mars 2007, Société HSM Schuhmarketing GMBH c/ société GEP Industries)

3. Reproduction de marque : Dans un arrêt du 10 juillet 2007, la Cour de cassation a simplement constaté que le produit litigieux n'est pas offert à la vente ni disponible en France pour écarter la compétence des tribunaux français.

4. Typosquatting - Dans un arrêt du 31 janvier 2008, la Cour d'appel de Lyon a constaté que les sites litigieux étaient accessibles depuis la France, que deux des trois sites litigieux étaient indubitablement destinés à la clientèle francophone et notamment française puisqu'au cours des années 2002 et 2003 les pages d'accueil ont été rédigées en français, que la langue française a été temporairement utilisée sur le troisième site litigieux, pour en déduire que le fait dommageable s'est produit en France. En l'espèce, la société ANS & Co, société de droit suisse dont l'activité est la commercialisation de pneumatiques sur le site Internet « pneus-online » a reproché à son concurrent allemand des actes de typosquatting en enregistrant et en utilisant des noms de domaine très proches du sien (CA Lyon, 31 janvier 2008, Pneus-online Suisse et Pneus-online Sarl c/ Delticom AG)

Site d'information visant ou non l'Internaute français

Reproduction et représentation d'œuvres d'art sans autorisation des titulaires des droits d'auteur sur un site d'informations : S'agissant d'un site d'informations présentant des œuvres d'art plastique, le Tribunal de Grande Instance de Paris a considéré d'une part que le critère de l'offre effective à la vente ne saurait s'appliquer, le site n'étant pas destiné à la vente de tableaux et d'autre part que les critères linguistiques et de référencement par des moteurs de recherche depuis la France sont inopérants dans mesure où les internautes ciblés sont constitués des amateurs d'art du monde entier et que les amateurs de l'œuvre de Hernan G. sont naturellement portés à rechercher les sites édités par les musées chiliens, ces œuvres étant appréhendables par ceux-ci indépendamment de la langue des commentaires d'accompagnement. En définitive, ici, le Tribunal prend en considération uniquement la nature du site Internet (site d'information et non pas commerçant) et le public ciblé par celui-ci pour juger inopérant le fait que le site Internet soit rédigé en langue espagnole, soit difficilement accessible par les moteurs de recherche depuis la France ou encore l'absence d'offre effective de vente. En l'espèce, la fille et la veuve du peintre chilien Hernan Gazmuri, décédé en 1979 au Chili, ont constaté que plusieurs de ses œuvres dont elles sont propriétaires, étaient reproduites et représentées sans autorisation sur le site Internet « artistasplasticoschilenos.cl » édité par le Musée national des Beaux-Arts. (T.G.I. Paris 03/09/2009, Florence G.-G., Clara G.-C / Musée d'art contemporain et autres)

Site de paris en ligne visant ou non l'internaute français

Utilisation sans autorisation de l'image et du nom de joueurs de football célèbres. En l'espèce, un club de football et certains joueurs ont reproché à des sociétés de sites de paris sportifs en ligne d'avoir utilisé leur image et leurs noms sans leur autorisation. La Cour d'Appel de Paris a considéré que ces sites de paris en ligne ne sont pas destinés au public français en constatant les éléments factuels suivants : les sites litigieux ne sont pas hébergés en France, certains sites ne comprennent aucune rubrique en français alors que leurs pages peuvent être lues en de nombreuses autres langues, l'un de ces sites n'est rédigé qu'en langue espagnole, certains sites ne proposent aucun pari sur des matchs de football français et sur les sites qui proposent de parier sur des matchs de football français, ces matchs constituent une proportion extrêmement réduite (généralement un seul match), enfin les fonds versés par les parieurs sont placés à l'étranger. (C.A. Paris 14 février 2008 Unibet Limited c/ Real Madrid, Zinedine ZIDANE, Joseph BECKHAM, Autres)

b/ Public concerné en fonction de l'impact économique du site Internet litigieux sur le territoire français

1. En l'espèce, les faits litigieux se matérialisent notamment par la diffusion d'annonces publicitaires sur le moteur de recherche Google sous la forme de liens hypertextes renvoyant aux sites exploités par la société Carrefour Belgium. Le Tribunal de Grande Instance de Paris a considéré que les faits litigieux, accessibles depuis le territoire français, sont susceptibles d'avoir un impact économique sur le public Français et ainsi de causer un préjudice sur le territoire national pour retenir sa compétence. Le tribunal précise qu'il importe peu ici de savoir si un internaute peut procéder à l'achat depuis la France de produits proposés à la vente par l'intermédiaire des dénominations litigieuses. (T.G.I. Paris, 16 mai 2008 RueDuCommerce c/ Carrefour Belgium)

2. Dans cette affaire, des sociétés d'assurance (Axa, Avanssur et Direct assurance) ont découvert que leurs marques respectives étaient utilisées comme mots clés dans le cadre de l'activité de liens sponsorisés développée par la société Google. Dans un arrêt du 6 juin 2007, la Cour d'Appel de Paris précise que compte tenu de l'universalité du réseau Internet, appliquer le critère de la simple accessibilité aurait nécessairement pour conséquence d'institutionnaliser la pratique du « forum shopping ». Pour déclarer le Tribunal de Grande Instance incompétent pour connaître de ce litige, la Cour d'Appel a considéré que les éléments de la procédure ne démontrent pas que les sites litigieux ont un impact économique sur le public Français. Pour en arriver à une telle conclusion, la Cour prend en compte le code pays attaché aux sites litigieux, à savoir « .fr » pour la France, « .ca » pour le Canada et « .de » pour l'Allemagne et constate que les faits litigieux ne sont pas apparus sur un site Internet en « .fr ». La Cour retient également le critère linguistique considérant que les sites litigieux sont exploités en langue anglaise et allemande. Enfin, le préjudice allégué ne serait pas caractérisé, ce qui ne permettrait donc pas de considérer qu'il est subi sur le territoire français. (C.A Paris, 6 juin 2007, Sociétés AXA, Avanssur, Direct Assurance c/ Google Inc. et Google France)

c/ Public concerné par rapport aux actes litigieux

Le groupe pharmaceutique Sanofi Aventis a engagé une procédure judiciaire estimant que son concurrent Novo Nordisk avait présenté sur Internet une comparaison déloyale et dénigrante à son égard en affirmant la supériorité du liraglutide (en cours de développement chez Novo Nordisk) par rapport à l'insuline Glargine (commercialisée par Sanofi Aventis), ces deux molécules rentrant dans la composition de traitements anti-diabètes. La Cour d'Appel de Versailles a considéré que les documents litigieux étaient destinés à un public de banquiers et d'investisseurs non français et aucunement à un public de patients et de professionnels français en retenant les éléments de fait suivants : les documents litigieux, rédigés en langue anglaise et danoise, étaient destinés principalement aux investisseurs financiers et aux autorités boursières, aucun contact français n'a été mentionné dans ces documents. En outre, « tant la loi danoise sur le commerce des valeurs mobilières que la législation américaine rendent obligatoires pour les sociétés cotées en bourse la diffusion d'informations notamment sur « les nouveaux produits d'importance significative » ainsi que des informations pouvant affecter la valeur de titres ou l'influence des investisseurs ». Enfin, la société Novo Nordisk ne peut être responsable de la reprise, par des tiers, des informations diffusées sur son site Internet. (CA Versailles 26 juin 2008 Société Novo Nordisk c/ Société Sanofi Aventis)

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