Les enjeux du Nutri-Score au sein de l'U.E.

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Rédigé le 17/04/2023  
Rappel des faits  
Le règlement européen n°1169/2011, dit règlement INCO, a rendu obligatoire l’affichage, sous quelque forme que ce soit, d’informations auprès des consommateurs sur les denrées alimentaires, des informations portant sur des indications nutritionnelles, la liste des ingrédients des produits, les substances allergènes, l’indication d’origine ou de la provenance, la présence de nano ingrédients.
Mis en place sous la direction de l’Agence nationale de sécurité sanitaire (ANSES), le Nutri-Score a été adopté en France par arrêté ministériel en 2017 pour permettre aux consommateurs de visualiser simplement et rapidement la qualité nutritionnelle des produits alimentaires, et ce, en application du règlement européen EU n°1169/2011.
Concrètement, le Nutri-Score est un logo (marques appartenant à l’ANSES) sous forme de code couleur, allant du vert foncé à l’orange foncé et un classement du meilleur au moins bon, au moyen de lettres de « A » à « E ».
Depuis 2017, d’autres pays que la France, comme la Belgique, la Suisse, l’Allemagne, l’Espagne, les Pays-Bas et le Luxembourg y ont recours. Ces pays ont alors décidé de créer une « gouvernance » transnationale du NutriScore prenant la forme d’une coopération au sein d'un comité de pilotage et d'un comité scientifique.
Bien que n’étant aucunement obligatoire, en 2021 le Nutri-Score est affiché sur de nombreux produits alimentaires par environ 600 entreprises dont certaines grandes entreprises comme Nestlé, PepsiCo, Bjorg, Gerblé, Harry’s, Jacquet, La Boulangère, Kellogs, Danone, Carrefour, Leclerc. En revanche, des géants de l’agro-alimentaire s’y opposent encore comme Coca-cola, Kraft, Lactalis, Mars, Mondelez, Ferrero ainsi que des producteurs locaux.
Il y a lieu de noter que le Nutri-Score établit une évaluation en prenant en compte la teneur en nutriments et aliments à favoriser et en nutriments à limiter, mais il n’apporte pas d’autres informations sur par exemple les risques pour la santé, l’impact environnemental, le bien-être animal, etc.
En revanche, si la notation donnée par l’application « Yuka » développée par la Start-up Yuka tient compte à 60 % du Nitri-Score du produit, elle tient compte aussi à 30 % de la présence d’additifs et de leur dangerosité pour la santé et pour 10 % de la labellisation bio. De son côté, la notation donnée par l’application « QuelProduit », développée par l’application UFC Que Choisir tient compte pour les produits alimentaires du Nutri-Score et de la présence d’additifs évalués par l’UFC Que Choisir.
Pour les produits dont le Nutri-Score n’est pas affiché, les consommateurs ont pris l’habitude, du fait de vaste campagne de communication, de contourner le manque d’information en consultant des applications comme « Yuka » ou « QuelProduit » dont la notation est basée en grande partie sur le NutriScore.
Le Nutri-Score et ces applications ont conduit à encourager ou à décourager l’achat de certains produits par les consommateurs et indirectement à faire pression sur la réglementation notamment en matière d’additifs en vue de les faire interdire. Le Nutri-Score a également provoqué une amélioration des recettes des produits alimentaires au plan nutritionnel, ce qui participe à la lutte contre l’obésité, l’hypertension, les maladies cardio-vasculaires ou encore le diabète de type 2.
Ces conséquences sont d’autant plus grandes que ces applications, et, en particulier Yuka, sont massivement utilisées. Par exemple, l’application Yuka compte 18 millions d’utilisateurs dans une dizaine de pays et touche près de 22% des français, devenant ainsi le leader français des applications alimentaires.
Ce faisant, mêmes les entreprises agro-alimentaires qui refusent d’afficher le Nutri-Score sur leurs produits, peuvent être sanctionnées par les consommateurs lorsque leurs produits sont mal notés par les applications « Yuka » ou « QuelProduit ».
En 2020, la Commission européen s’est engagée, dans le cadre de sa stratégie alimentaire « de la ferme à la fourchette / farm to fork » à adopter un logo nutritionnel harmonisé d’ici 2022, sans en préciser le format. Ce fut le début d’une fronde très active à la fois de certains pays européens et d’acteurs économiques pour s’opposer radicalement au Nutri-Score qui avait les faveurs de la Commission européenne à cette époque.
Arguant notamment que le Nutri-Score porterait atteinte à des produits nationaux d’exception, pouvant même afficher des mentions de qualité (AOP/IGP), pourrait détruire des traditions et savoir-faire ancestraux (le régime méditerranéen notamment), pourrait nuire à l’image d’un pays, l’Italie, pays d’origine du groupe Ferrero, a pris la tête des opposants au Nutri-Score.
Multipliant les actions de communication auprès des instances de l’U.E. et auprès du public (Think Tanks, création du site No-Nutriscore, etc.), l’Italie, soutenue à la fois par les géants de l’industrie agroalimentaires et les défenseurs des produits emblématiques du « made in Italie », est devenu le pays européen leader de l’opposition au Nutri-Score.
Avec le soutien du Copa (Comité des organisations professionnelles agricoles de l’U.E.) et de la Cogeca (Confédération générale des coopératives agricoles, ex-Comité général de la coopération agricole de l'U.E.), l’Italie critique notamment le système d’évaluation du Nutri-Score qui évalue tous les produits selon la même référence de 100 grammes ou de 100 millilitres, considérant qu’il faudrait prendre correctement en compte le rôle des portions pour une alimentation équilibrée. L’Italie a aussi donné sa préférence au Nutri-Form (étiquetage se limitant à informer sur les teneurs (en grammes) en sel, sucre, gras, gras saturé et énergie) en lieu et place du Nutri-Score si un étiquetage devait, le cas échéant, être harmonisé au sein de l’U.E.
Pour contrer les agissements de l’Italie, le 16 mars 2021, plus de 270 scientifiques opérant dans un grand nombre de spécialités (nutrition, obésité, endocrinologie, cancérologie, cardiologie, etc.) et une vingtaine d’associations d’experts (travaillant dans des instituts et universités de 32 pays européens) ont adressé à la Commission européenne un argumentaire scientifique synthétisant l’ensemble des connaissances et publications sur le Nutri-Score et ses intérêts pour la santé publique.
Mais, à date, l’Italie a déjà rallié à sa cause la Grèce, Chypre, la République Tchèque, la Roumanie, la Lettonie, la Hongrie.
Bien que la France reste l’un des pays les plus engagés en faveur du Nutri-Score, des entreprises du secteur agro-alimentaire français y sont aussi fortement hostiles.
D’ailleurs, des entreprises du secteur agro-alimentaires, seules ou par l’intermédiaire de leurs associations professionnelles, œuvrent activement pour faire sanctionner en justice l’application « Yuka », dont 60 % de sa note s’appuie sur le Nutri-Score, pour obtenir la modification de la règlementation en vigueur, pour imposer leur propre standard d’évaluation des produits alimentaires.
Ainsi, plusieurs actions judiciaires ont été engagées à l’encontre de la société Yuka pour dénigrement et pratiques commerciales déloyales et trompeuses, notamment devant les tribunaux de commerce de Paris, Versailles, Aix-en-Provence, Brive, respectivement par la Fédération des entreprises françaises de charcuterie traiteur (FICT), par la Fédération française des industries des aliments conservés (FIAC), la société ABC Industrie, la société Le Mont de la Coste (Marque Auvergnou).
Si la société Yuka a été condamnée par ces tribunaux de commerce, elle a interjeté appel de ces décisions. Tout comme la Cour d’appel d’Aix en Provence, la Cour d’appel de Limoges vient d’infirmer la décision de première instance. Ces juridictions d’appel font toutes les deux prévaloir la liberté d'expression et le droit d'informer les consommateurs afin de les aider à faire le meilleur choix pour leur santé. La Cour d’appel d’Aix en Provence précise que les indications publiées, bien que jetant le discrédit sur le produit visé, relèvent d'un débat d'intérêt général relatif à l'utilisation des nitrites dans les charcuteries. La Cour d’appel de Limoges précise, de son côté, le caractère avéré des risques cancérigènes des additifs dans les charcuteries nitrées et consacre le droit d’alerter le consommateur pour une alimentation saine durable et militante, sujet d’intérêt général majeur de santé publique.
L’industrie agro-alimentaire a aussi décidé de créer sa propre base de données dénommée « NumAlim » aux fins de fournir ses propres référentiels sur les informations nutritionnelles. Pour ce faire, une société coopérative d’intérêt collectif (SCIC Plateforme Numerique de l'Alimentation  RCS n° 851 621 052) a été créée. Elle regrouperait un certain nombre d’entités comme l’ANIA (Association Nationale des Industries Alimentaires), le FICT (Fédération française des industries des aliments) ou encore une quarantaine d’entreprises dont Lesieur (Groupe Avril), Savencia, Ferrero ou Herta (filiale de Nestlé et Casa Terradellas).
Face à ces luttes scientifiques, économiques et politiques visant à imposer ou à écarter le Nutri-Score comme outil de référence au sein de l’U.E., la Commission européenne a reporté ses échéances arguant de l’importance de finaliser son étude d’impact avant de proposer un projet règlementaire destiné à harmoniser au sein de l’U.E. le logo nutritionnel qui sera affiché sur les produits alimentaires.

Grille d’analyse en intelligence juridique

1/ Quand ? 

  • 2017 : Adoption du NutriScore en France sur la base du volontariat. Toujours en vigueur aujourd’hui.

2/ Qui ? 
  • La Commission européenne et les États européens;
  • Le Copa (Comité des organisations professionnelles agricoles de l'Union européenne) et la Cogeca (Confédération générale des coopératives agricoles, ex-Comité général de la coopération agricole de l'Union européenne) ;
  • Les scientifiques européens et des associations d’experts ;
  • Les entreprises du secteur agro-alimentaires et leurs groupements professionnels notamment la FICT (Fédération Française des industriels Charcutiers Traiteurs), l’ANIA (Association Nationales des industries alimentaires), la FIAC (Fédération française des industries des aliments conservés), La FNSEA (Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles), la SCIC Plateforme Numerique de L'alimentation ;
  • Les applications mobiles « Yuka » (détenue par la société la société Yuca SAS) et « QuelProduit » (détenue par UFC Que Choisir) ;
  • L’Association UFC Que Choisir ;
  • Les sites Web : NumAlim (appartenant à la SCIC Plateforme Numerique de l'Alimentation) et No Nutriscore  (édité par une association informelle créée à l’initiative de Luciano Stella, et qui déclare regrouper des professionnels et des citoyens qui auraient signé le Manifeste contre le Nutriscore FOPNL).

3/ Pourquoi ? 

  • Enjeux : Souveraineté, Concurrence, Lobbying, Influence, e-réputation

L’intelligence économique s’articule autour de trois axes : le renseignement économique, la sécurisation du patrimoine informationnel et l’influence stratégique.
L’intelligence juridique « porte sur tous les aspects légaux de la protection du patrimoine informationnel de l’entreprise mis au service de l’intelligence économique. [C’est une sorte] « d’ingénierie juridique »[1], (instrument stratégique) mise au service de l’intelligence économique.
La volonté de la Commission européenne d’adopter une règlementation contraignante destinée à créer un « logo nutritionnel » harmonisé d’ici 2022 a provoqué de la part de certains États européens et d’entreprises du secteur agro-alimentaire des actions d’intelligence juridique 
  • Influence de la règlementation française : depuis son lancement en France en 2017, plusieurs pays ont décidé de recommander l’utilisation du Nutri Score : la Belgique, la Suisse, l’Allemagne, l’Espagne, les Pays-Bas et le Luxembourg.
  • Réputation : Volonté de certains acteurs économiques de discréditer la plateforme « Yuka » et de nuire à sa réputation, étant rappelé que 60 % de sa note se base sur le NutriScore.
  • Réputation : Volonté de certains acteurs économiques et de certains états de discréditer les critères d’évaluation du Nutri-Score
  • Renseignement économique : Création de la base de données « NumAlim » sur les produits alimentaires par des acteurs économiques pour aboutir à créer leur propre référentiel en matière nutritionnelle
  • Action de lobbying : Création de l’application « QuelProduit » par l’association UFC Que Choisir défenseur du NutriScore
  • Action de lobbying : Actions de communication auprès des instances de l’U.E. et auprès du public (Think Tanks, création du site No-Nutriscore alliance, création du site NumAlim, etc.) de la part des opposants du NutriScore
  • Action de lobbying : Communication auprès de la Commission européenne des scientifiques convaincus des bienfaits du Nutri-Score
  • Souveraineté : Défense de certains pays européens de leurs produits nationaux et de leurs groupes agro-alimentaires comme l’Italie
Sources
  • « Cent cas d’intelligence économique », Nicolas Moinet, Ines Elhias, VA Editions, 20 févr. 2020 ;
  •  « Dénigrement et pratique commerciale trompeuse : Yuka condamnée » Gérard Haas et Marie Cadot, Avocats, https://info.haas-avocats.com/droit-digital/denigrement-et-pratique-commerciale-trompeuse-yuka-condamnee
  • « Le Nutri-Score » Santé Publique France : https://www.santepubliquefrance.fr/determinants-de-sante/nutrition-et-activite-physique/articles/nutri-score;
  • « Étiquetage des denrées alimentaires : nouvelles règles européennes : le Règlement n°1169/2011 dit INCO », publié au JOUE le 22 novembre 2011, par la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, https://www.economie.gouv.fr/dgccrf/etiquetage-des-denrees-alimentaires-nouvelles-regles-europeennes;
  • « Appli QuelProduit : Une application gratuite pour choisir ses produits alimentaires, cosmétiques et ménagers » UFC Que Choisir https://www.quechoisir.org/application-mobile-quelproduit-n84731/;
  • « NumAlim » : https://www.plateforme-numalim.fr/universalim/;
  • « No-Nutriscore » : https://www.no-nutriscore.eu/;
  •  « Étiquetage nutritionnel en Europe une bataille explosive, entre nationalisme, lobbying et menaces » Mathilde Gérard, Allan Kaval et Virginie Malingre, 26 décembre 2022, Ed. Le Monde ;
  • « Il faut que l’Europe adopte dès que possible le logo Nutri-Score, demandent 270 scientifiques » Mathilde Gérard, 16 mars 2021, Ed. Le Monde ;
  • « Pourquoi il faut imposer le Nutri-Score en Europe, malgré les lobbies », Serge Hercberg, 27 avril 2022, Ed. l’Obs ;
  • Ministère de la santé et de la prévention : avis du 22/11/2022 en faveur de l’adoption du Nutri-Score dans l’U.E. ;
  • Dossier de Que Choisir sur le Nutri-Score, service des études et du Lobbying en date du 12 avril 2023 ;
  • « Les produits alimentaires s’améliorent grâce au Nutri-Score… quand les entreprises l’utilisent », HuffPost – France ;
  • « Le Nutri-Score bientôt obligatoire ? face à un bilan mitigé, l’UFC Que Choisir veut l’imposer dans l’U.E », Lea Pippinato, 12/04/2023, Ed. Midi Libre ;
  • « Agroalimentaire : la guerre de l’étiquetage faire rage » Laurence Girard, 10 juillet 2021, Ed. Le Monde
  • « Nitrites dans a charcuterie : l’application Yuka gagne un nouveau procès contre un industriel » 16 avril 2023, Ed. Ouest France.



[1] [1] « Le droit de l'intelligence économique Patrimoine informationnel et secrets d'affaires », Olivier de Maison Rouge, 22/08/2012, LGDJ Editeur : Lamy, Collection : Axe Droit

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