eBay et la lutte contre la contrefaçon, une histoire à rebondissement

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Article rédigé le 3 décembre 2008  


Une décision du Tribunal de Grande Instance (T.G.I.) de Troyes en date du 4 juin 2008[1] et trois décisions du Tribunal de Commerce (T.C.) de Paris en date du 30 juin 2008[2] ont défrayé la chronique cet été. En effet, si les magistrats de Troyes reconnaissent le statut d'hébergeur aux sociétés eBay, ils leur reconnaissent également celui d'éditeur de services en ligne. Quant aux magistrats du T.C. de Paris, ils refusent le statut d'hébergeur aux mêmes sociétés eBay et leur reconnaissent seulement le statut de courtier en ligne. Mais dans chacune de ces affaires, les magistrats retiennent à la charge des sociétés eBay des obligations, dont une obligation de vigilance et une obligation d'information qui n'auraient pas été respectées par celles-ci. Au total, les sociétés eBay ont été condamnées à payer plus de 40.000.000 € !

1. La responsabilité limitée des hébergeurs de site Internet

Les prestataires techniques qui exercent une activité de stockage de données fournies par des tiers au sens de l'article 6-I-2° de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique (LCEN), sont, par principe, non responsables des activités ou des informations stockées à la demande d'un destinataire de ces services s'ils n'ont pas connaissance de leur caractère illicite ou si, dès le moment où ils en ont eu connaissance, ils ont agi promptement pour retirer ces données ou en rendre l'accès impossible.

De plus, selon les dispositions de l'article 6-I-7° de la LCEN, ces prestataires techniques, tels que les hébergeurs de sites Internet, ne sont soumis à aucune obligation générale de surveiller les informations qu'ils transmettent ou stockent, ni à une obligation générale de rechercher des faits ou des circonstances révélant des activités illicites.

Depuis une décision du T.G.I. de Paris en date du 26 octobre 2004, les sociétés eBay qui font partie de la catégorie des intermédiaires de contenus en ce sens qu'elles diffusent sous leur nom des contenus stockés par des tiers, sont régulièrement qualifiées d'hébergeur par les tribunaux.

Si le T.G.I. de Troyes confirme le statut d'hébergeur des sociétés eBay qui d'ailleurs n'était pas contesté par la société Hermès, le T.C. de Paris semble la remettre en cause. D'après le T.C. de Paris, les sociétés eBay ont pour activité principale une activité de courtage qui ne leur permet pas de bénéficier du statut dérogatoire des hébergeurs.

2. La nouvelle responsabilité des éditeurs de services en ligne

2.1. La qualité d'éditeur de service en ligne

Dans sa décision du 4 juin 2008, le T.G.I. de Troyes considère que « les société eBay exercent une activité de courtage aux enchères en ligne à distance par voie électronique permettant à des particuliers ou des professionnels, de vendre ou d'acquérir en ligne des biens ou services » pour ensuite les qualifier d'éditrices de services de communication en ligne à objet de courtage en prenant soin de préciser qu'elles ne sauraient pour autant être qualifiées d'éditrices de contenus puisque lesdits contenus sont fournis par les utilisateurs eux-mêmes.

Pour justifier cette qualité « d'éditrices de services de communication en ligne », le T.G.I. de Troyes relève que les sociétés eBay « mettent à disposition des vendeurs des outils de mise en valeur du bien vendu, organisant des cadres de présentation des objets sur leur site en contrepartie d'une rémunération et créent les règles de fonctionnement et l'architecture de leur service d'enchères (...) ».

La LCEN créée la notion de communication au public en ligne et la définit comme « toute transmission, sur demande individuelle, de données numériques n'ayant pas un caractère de correspondance privée, par un procédé de communication électronique permettant un échange réciproque d'informations entre l'émetteur et le récepteur ». Autrement exprimé, la LCEN envisage la communication au public en ligne sous l'angle technique de la transmission de données entre un émetteur et un récepteur en vue d'un échange interactif et non sous l'angle du contenu des données et informations transmises. Pour autant, la LCEN ne fait référence à aucun régime de responsabilité spécifique. Le régime de responsabilité de droit commun doit donc s'appliquer.

2.2. Responsabilités de l'éditeur de service en ligne

Le T.G.I. de Troyes considère qu'en tant qu'éditrices de services de commerce, « les sociétés eBay ne sont pas dispensées de veiller, dans la mesure de leurs moyens, à ce que leur site Internet ne soit pas utilisé à des fins répréhensibles ». Si le Tribunal reconnaît que les sociétés eBay disposent d'outils propres à rechercher des contenus contrefaisants, il considère que ceux-ci ne permettraient pas la mise en œuvre d'une vérification effective et d'une information pleine et parfaite aux utilisateurs de leur service.

Ainsi, les sociétés eBay n'ont pas manqué de rappeler que :

-> les conditions d'utilisation du site « ebay » appellent l'attention des utilisateurs sur les risques de fraudes ;

-> le programme « VeRO » (Verified Right Owners » permet aux utilisateurs ou à des tiers de signaler les produits illicites ;

-> une politique d'information a été mise en place par le biais notamment d'une foire aux questions sur la contrefaçon ;

-> un règlement relatif à l'usage abusif des marques et d'outils de recherche à priori des annonces illicites par le biais de mots clés, existe.

Ce à quoi, le Tribunal répond en précisant que certes les sociétés eBay ne sont pas tenues à une obligation de résultat imposée aux commissaires-priseurs quant à l'engagement qu'ils assument sur l'authenticité des objets vendus par leur intermédiaire.

Toutefois, une simple affirmation de la part du vendeur sur le caractère authentique des produits mis en vente est manifestement insuffisante pour le Tribunal qui a reproché aux sociétés eBay de ne pas avoir:

-> sollicité des vendeurs qu'ils précisent dans leur annonce les moyens d'identification de l'objet vendu (référence du produit, numéro de série, numéro type, certificat d'authenticité etc.)

-> affiché en caractères suffisamment lisibles les références ainsi apportées, l'absence de connaissance de celles-ci ou le défaut de réponse ;

-> assuré une information pleine et parfaite aux utilisateurs de son service de telle manière que cette information se distingue de façon apparente des conditions d'utilisation du service.

3. La responsabilité du courtier via son site de courtage

Pour qualifier le site « ebay » de site de courtage, le T.C. de Paris relève que les sociétés eBay mettent en place des outils de promotion et de développement des ventes sur leur site Internet pour considérer ensuite qu'elles exercent une activité commerciale rémunérée sur la vente de produits aux enchères consistant en l'intermédiation entre les vendeurs et les acheteurs et la réception d'une commission correspondante, son activité de stockage de données n'étant aucunement retenue. Il relève également qu'elles offrent un service qui n'impliquerait pas l'absence de connaissance et de contrôle des informations transmises sur ce site. Le Tribunal s'abstient toutefois d'affirmer que les sociétés ebay seraient éditrices de services de communication en ligne à objet de courtage ou encore de préciser qu'elles ne seraient pas éditrices de contenus au sens de la LCEN.

Puis, s'appuyant sur le régime de responsabilité de droit commun, le Tribunal considère que les sociétés eBay ont, par une grave négligence, favorisé et amplifié la commercialisation à très grande échelle, par le biais de la vente électronique, de produits de beauté et de parfums dépendant de la distribution sélective.

En effet, d'après le tribunal, les sociétés eBay auraient dû s'assurer, à priori, que leur activité ne générait pas d'actes illicites comme le contournement de réseaux de distribution sélective, les outils propres à rechercher des contenus contrefaisants qu'elles ont mis en place étant, là encore, considérés comme insuffisants. À ce titre, elles auraient dû imposer aux vendeurs de fournir, sur simple demande, la facture d'achat ou un certificat d'authenticité des produits mis en vente. Elles auraient également dû vérifier que les vendeurs qui réalisent, à titre habituel, de nombreuses transactions sur ces sites sont dûment immatriculés auprès des administrations compétentes telles que, en France, le Registre du Commerce et des Sociétés, le Répertoire des Métiers, et auprès d'organismes sociaux. Le comportement des sociétés eBay semble d'autant plus répréhensible que celles-ci auraient été prévenues par les sociétés victimes de ces agissements illicites.

Conclusion

Ces décisions judiciaires font actuellement l'objet de recours devant les Cours d'appel compétentes. L'histoire n'est donc pas terminée... S'il est légitime pour les marques de tenter de stopper la contrefaçon d'envergure sur Internet ou d'arrêter les atteintes aux réseaux de distribution en s'en prenant directement aux sites Internet vecteurs de ces actes illicites, les décisions commentées font, pour le moins, preuve de sévérité et d'originalité en ce qui concerne le statut des intermédiaires de contenus comme les sociétés eBay. Reste à savoir si les juridictions d'appel confirmeront ce nouveau mouvement de jurisprudence qui semble s'amorcer et surtout si elles apporteront des précisions sur le statut des intermédiaires de contenus et les obligations y attachées...


[1] T.G.I. Troyes, 4 juin 2008, Hermès international c/ Mme Clindy F, SA Ebay France et Ebay International AG, jugement n° 08/02604

[2] T.C. Paris, 30 juin 2008, Christian Dior Couture c/ eBay Inc et Ebay International AG - Louis Vuitton Malletier c/ eBay Inc et Ebay International AG – Parfums Christian Dior et autres c/ eBay Inc et Ebay International AG

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